Un mariage et un enterrement
Le mariage entre le zombie Credit Suisse et le nouveau monstre UBS pourrait ne pas s'avérer être la lune de miel espérée.
“Banking stands revealed as a part of the state masquerading as part of the private sector” - Martin Wolf
Le 14 mars dernier, le Credit Suisse publiait son rapport annuel 2022 de 452 pages et rien ne laissait penser dans les mots de son Président Axel Lehmann que ce rapport serait le dernier de la banque fondée en 1856 :
For Credit Suisse, 2022 was an important year that marked a decisive break from the past and the beginning of our journey to become a simpler, more focused bank built around the needs of our clients. In October, we announced a clear strategy that builds on our core strengths and addresses current challenges, and we have since been executing it at pace. Our strategic, cultural and operational transformation aims to re-establish Credit Suisse as a solid, reliable and trusted partner with a strong value proposition for all our stakeholders.
Le profil de la mariée
Sur les 452 pages du profil de la future mariée, on retiendra notamment les quelques éléments suivants :
Des réserves de 45 milliards
Le bilan au 31 décembre 2022 présentait des actifs de 531 milliards de francs et des dettes de 486 milliards et donc des fonds propres de 45 milliards.
En simplifiant la situation, si Credit Suisse vendait tous ses actifs au 31 décembre pour payer ses dettes, il resterait 45 milliards pour ses actionnaires ou 12 francs par action.
Bien que la situation puisse paraître sous contrôle, les investisseurs avaient leurs doutes, valorisant Credit Suisse à 2.24 francs par action, soit 80% moins que ces fonds propres comptables.
Des contrôles insuffisants
Moins rassurant, pour préparer ces chiffres, Credit Suisse n’avait pas les contrôles suffisants selon l’auditeur PwC:
In our opinion, the Group did not maintain, in all material respects, effective internal control over financial reporting as of December 31, 2022, based on criteria established in Internal Control - Integrated Framework (2013) issued by the COSO because material weaknesses in internal control over financial reporting existed as of that date […]
Une banque simple
On imagine toutefois qu’un chiffre a été bien vérifié tant il illustre l’éloignement des mots de Lehmann (“become a simpler, more focused bank built around the needs of our clients”) et la réalité :
Vous ne rêvez pas. La banque a payé 175 millions de dollars pour une boutique de moins de 50 personnes appartenant à un de ses administrateurs. Et elle l'a en outre payé 10 millions de dollars pour qu'il les conseille dans la transaction !
Situation critique des liquidités
Finalement, on notera ce qui sera certainement la principale cause de la mort de la Vieille Dame : rien ne sert d’avoir des fonds propres, il faut des liquidités permettant de rembourser les déposants.
Les fiançailles
Si ce rapport annuel n’a pas rassuré les investisseurs, le coup de grâce est arrivé par le premier investisseur du Credit Suisse lui-même, ici tel que reporté par Reuters :
Credit Suisse shares slumped by as much as 30% on Wednesday [15 mars, amenant le titre à CHF 1.70 par action] after its largest shareholder said it could not provide further support, prompting the Swiss bank's CEO to make new assurances on its financial strength.
Saudi National Bank (SNB), which holds 9.88% of Credit Suisse, said it would not buy more shares on regulatory grounds.
Les Suisses se levant tôt mais se réveillant tard, le gouvernement s’est alors rendu compte que son fleuron était en danger. Ne voulant pas voir son étendard terni, le Credit Suisse recevait le message suivant du gouvernement d’après l’excellent récit paru dans le Financial Times :
“You will merge with UBS and announce Sunday evening before Asia opens. This is not optional”
Ce mariage ressemblera donc plus à un mariage forcé qu’à une union consentante planifiée de longue date.
Les noces étaient alors fixées à dimanche avec une mariée qui n’a pas lésiné sur les dépenses ces dernières années.
La Suisse. Pays dans lequel des lois sont votées pour décider du sort des cornes des vaches. Pays dans lequel on demande au peuple de déterminer si votre chien a droit à un avocat. La Suisse qui peine à aménager sa loi d’exportation d’armes afin de venir en aide lors d’un conflit en Europe. Par contre, la Suisse, un pays dans lequel le droit d’urgence permet qu’une mégafusion se réalise le temps d’un week-end.
Loi sur la concurrence, vote des actionnaires, remboursement des actionnaires avant les créanciers (ils auraient dû lire le prospectus), laissant même les Saoudiens perplexes :
You make fun of dictatorships and then you can change the law over the weekend. What’s the difference between Saudi Arabia and Switzerland now?
Le mariage
Avec le couteau par le manche, l’UBS n’a pas dû négocier longtemps pour ce qui pourrait sembler être une bonne affaire. Credit Suisse est acquise pour 0.76 franc par action, bien en dessous de son prix prénuptial et avec la bénédiction de la matriarche BNS garantissant jusqu’à 100 milliards de liquidités ainsi que jusqu’à 9 milliards pour des frais liés aux futurs litiges hérités de cette union.
Le nouveau monstre “too big to fail” qui a mis des années à se remettre de 2008 et qui ne pourra fusionner avec personne lors de la prochaine déroute devrait toutefois se méfier de la mariée que plus personne ne voulait épouser.
On notera toutefois que l’UBS commence par les évidences que nous avions notées il y a quelque temps déjà : renégocier le contrat avec le génie Michael Klein.
Cette transaction ressemble donc à un mariage dans lequel le principal objectif semble être d’enterrer le plus rapidement la mariée.
D’ici là, nous ne serions pas surpris que l’UBS trouve encore quelques cadavres.
L’enterrement
Pour participer aux funérailles, si vous n’avez pas de bonnet - ou les moyens de vous en acheter un, les prix de ceux-ci font bientôt autant de sens que les prix d’un NFT en 2021 - internet propose des alternatives intéressantes.
À cette occasion, n’excluez pas quelques nouvelles blagues de la part d’Axel Lehmann qui a mis la faute de la déroute de la banque à… Twitter !
Un bonnet d’âne bien mérité.
Bear, j'adore votre écriture et j'ai partagé ton Substack avec mes amies en France.
Moi, je suis nouvelle à Français donc j'aime lire votre écriture. Vous avez un Podcast, ou un'autre podcast en français sur finance? Comme Quoth The Raven ou Doomberg mais en français? Merci beaucoup!