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Teresa profitait d’un coucher de soleil à El Zonte, au Salvador, après sa journée de travail.
Les couchers de soleil n’avaient pas changé depuis son enfance, un rond rose disparaissant derrière l’océan pacifique et ses vagues qui déferlaient à intervalle régulier sur la plage de sable.
Ce qui avait changé, c’était les touristes à coté d’elle: les surfeurs qui y venaient depuis des années avaient été abruptement remplacés par une drôle d’espèce: les cryptos-bros, dont les tatouages de jetons de toutes sortes lui plaisait moins que les torses musclés et bronzés des surfeurs.
Ce n’était pas seulement une vue moins agréable mais également une excitation sans queue ni tête qui devenait fatigante dans son village qu’ils avaient rebaptisé Bitcoin Beach. Ils s’excitaient comme des enfants qui venaient de s’envoyer deux cents grammes de bonbons chaque fois qu’ils entendaient le mot bitcoin, crypto ou NFT.
Une simple commande de bière ressemblait à une victoire du super bowl.
Tout avait commencé il y a quelques mois lorsque son président, Nayib Bukele, faisait en septembre 2021 du bitcoin la monnaie officielle au Salvador au même titre que le dollar américain. Les autorités mettent en place un premier fonds de 150 millions de dollars afin de garantir la convertibilité automatique du bitcoin en dollars, font installer quelque 200 distributeurs automatiques permettant d’échanger des bitcoins et lancent une application baptisée Chivo Wallet devant permettre de procéder à des paiements ou virements en bitcoins. Chaque utilisateur de Chivo recevra une prime de l’équivalent de 30 dollars en bitcoins.
Le Fonds monétaire international (FMI) a cependant mis en garde le gouvernement salvadorien contre les risques du Bitcoin : « Compte tenu de la haute volatilité du Bitcoin, son utilisation en tant que monnaie officielle génère des risques importants pour la protection du consommateur, pour l’intégrité du système financier et pour la stabilité financière. »
Bien que la décision d’implémenter le bitcoin fût décidée sur un coup de tête et sans consultation, Teresa n’avait pas d’avis particulier à ce sujet, elle était plutôt contente de recevoir 30 dollars de la part de son gouvernement et appela son frère Julio qui travaillait à San Diego et qui s’intéressait depuis un moment à cette technologie, permettant d’avoir une monnaie électronique décentralisée.
“Le bitcoin va permettre de relancer l’économie de Salvador. Et chaque mois, je ne t’enverrai plus des dollars avec Western Union ou Xoom. Je t’enverrai directement les bitcoins sur ton Chivo wallet”.
A coté de ses études, Teresa aidait ses parents dans leur petite échoppe qui vendait des boissons fraiches et des pupusas près de la plage.
Contrairement à 86% des commerces du Salvador, sa famille acceptait les transactions en bitcoins afin de satisfaire les touristes, mais ils s’étaient rapidement rendu compte que de garantir un prix en bitcoin était trop risqué, les mouvements de valeur pouvant dépasser les 10% en une seule journée.
Les interactions avec ses clients prenaient alors une tournure que seul le futur des paiements pouvait garantir:
“ deux pupusas por favor”
“avec plaisir, cela fera 0.000025 bitcoins. Pardon, le cours a changé, cela fait 0.000026 bitcoins, oups pardon, 0.000024 à présent”
Trois minutes plus tard, toujours dans l’attente à ce que la transaction soit réalisée, un message d’erreur apparu et Teresa demanda à son client s’il pouvait payer en dollars.
Le bitcoin-bro, puriste, n’avait pas de liquide et Teresa ne vendit pas ses pupusas.
Le lendemain, elle recevait un appel du centre de support du Chivo Wallet s’excusant de l’incapacité de recevoir le paiement de 0.00024 bitcoin. Bien que le service après-vente la réjouissait, elle s’interrogea: alors que les transactions en liquide lui permette une anonymité la plus totale et qu’on lui a promis une monnaie décentralisée, comment est-ce que Chivo pouvait connaître sa transaction?
Elle fit quelque recherche sur internet et tomba sur cet article, où un certain Mario Gómez avait investigué ce sujet:
Gómez took an interest in the digital infrastructure the Salvadoran government was building for its transition to Bitcoin, including the Chivo Wallet, which is what is known as a custodial wallet. Custodial wallets address a common problem for cryptocurrency users. Bitcoin payments employ the blockchain, a process by which every financial transaction is logged in a digital ledger and then verified through a computational process. Users hold a public key, which assigns them to their Bitcoin holdings, and a private key, which allows them to access their funds. But this can cause problems. Users who lose their private key, for instance, can never recover their Bitcoin. With a custodial wallet, a third party holds the keys so that users don’t have to worry about losing them.
It made sense that the Chivo Wallet would be custodial — the administration had to build a wallet that would be functional for everyday people, the majority of whom had never even had a bank account. But it didn’t sit right with Gómez. Many Bitcoin purists criticize custodial wallets as contradictory to what they see as cryptocurrency’s fundamental ethos of decentralization. A famous adage in the crypto world goes, “Not your keys, not your coins.” In other words, if another entity has access to your private key, you don’t actually own your Bitcoin. Even though Chivo is technically a private company, it is 99% owned by a state-owned company and funded by a $150 million public trust. In effect, the government would control its citizens’ keys.
Et lisait ensuite plus bas:
Gómez drafted long Twitter threads about his findings. The next day, a few days before the Chivo Wallet was set to launch, the police pulled him over for what they said was a problem with his car, took him to two stations, and confiscated his phones. Authorities announced that he was being investigated for financial fraud, but Gómez was never formally arrested or charged with a crime. Two organizations have filed a complaint with the country’s attorney general alleging Gómez’s detention was arbitrary. He suspects that he was targeted for speaking out about Chivo.
Teresa était choquée mais peu surprise, la rapidité dont ce projet avait été mis en place ne laissait rien présager de bon.
Les projets du Salvador ne s’arrêtaient pas là. Son président, qui se transformait gentiment en trader de cryptomonnaies et s’était auto-proclamé “CEO du Salvador”, semblait prendre ses décisions pour devenir connu et ne s’inquiétait peu des problèmes que rencontraient ses citoyens.
Quoi de mieux, après bitcoin beach, que de lancer une nouvelle opération de communication avec un autre projet autour du bitcoin, une ville en forme de B dont l’activité sera tournée autour du minage de bitcoin à l’aide de l’énergie générée par les volcans: le projet de bitcoin city était né.
Mi-avril, Teresa s’inquiétait, elle recevait en général les 300 dollars de Julio le 25 du mois via xoom, un filiale de paypal, quelques secondes après la validation du transfert par son frère.
On était le 30, et elle n’avait toujours rien reçu sur son Chivo Wallet. Alors que les cryptos-bros préféraient regarder les résultats du loto sur leurs écrans que le coucher de soleil, elle prit son téléphone et appela Julio.