Potion tragique
Wall Street plumera les petits investisseurs jusqu'à leurs dernières plumes. Bed Bath & Beyond en est le dernier exemple.
“Obélix, coupe trois parts de ce gâteau” - Panoramix
Dans les Aventures d’Astérix, un petit village de Gaulois irréductibles faisait face à l’empire romain grâce à la potion magique de leur druide.
Depuis, certaines choses sont restées (on s’envahit toujours), d’autres ont évolué (une option végétarienne est proposée lors des banquets avec du sanglier) et d’autres sont réapparues : le sentiment de toute puissance obtenu grâce à une potion magique.
La potion magique ne provient ici pas d’un druide mais d’un subtil mélange de réseaux sociaux, de marché des capitaux et de cerveaux endormis qui donne alors l’impression aux Apes (investisseurs en meme stock et autres cryptomonnaies sans valeur) de devenir invincibles.
Autant improbable que cela puisse paraitre, il n’y a pas si longtemps les actions d’entreprises s’échangeaient en fonction de la quantité d’actions émises sur le marché et la qualité de l’entreprise en question.
En fonction des performances passées et des perspectives futures, les investisseurs évaluaient alors le prix de l’action par rapport aux bénéfices futurs prévus, les comparant avec des multiples tels que le bénéfice par action (EPS).
S’ils estiment que le gâteau va grandir à l’avenir, ils achètent des actions. Si, au contraire, qu’il va réduire, ils en vendent remplissant l’un des objectifs du marché des capitaux : attirer des fonds vers les entreprises bien gérées et à succès et de délaisser celles qui le sont moins.
Avant d’avoir droit à votre part de gâteau, l’entreprise doit honorer ses dettes. Dans le cas où l’entreprise pense ne plus avoir les moyens de faire face à celles-ci, elle suit les procédures de mise en faillite, signe en général que les détenteurs d’actions n’en retireront rien et que leur valeur est donc de 0.
Ainsi, il était pour le moins surprenant de voir le cours de l’action de l’entreprise américaine Bed Bath & Beyond ($BBBY, distribution de droguerie) être en augmentation de 85% sur le mois dernier malgré l’annonce effectuée le 26 janvier dernier par la société :
“at this time, the Company does not have sufficient resources to repay the amounts under the Credit Facilities and this will lead the Company to consider all strategic alternatives, including restructuring its debt under the U.S. Bankruptcy Code.”
Il existe en effet peu d’alternatives lorsque vous faites face à un risque de faillite : peu de monde voudra vous prêter de l’argent ou investir dans votre entreprise en sachant que les fonds serviront directement à rembourser les dettes en souffrance et que le risque de tout perdre est important.
C’est sans compter sur les Apes sous potion magique qui achètent des actions avec le même recul que celui d’Obélix avant de frapper un Romain, ce que Wall Street semble avoir bien compris - ici reporté dans le New York Times :
Bed Bath & Beyond’s plan to use a public stock offering as a way to raise more than $1 billion and avoid bankruptcy will be backed by the investment firm Hudson Bay Capital Management
On pourrait s’attendre à lire dans la suite de l’article les plans de restructuration prévus par l’investisseur afin de rendre l’entreprise en déclin profitable une fois la tête sortie de l’eau.
Détrompez-vous ! Là n’est absolument pas l’objectif. Hudson Bay a acquis des actions préférentielles et autres produits dérivés à des conditions favorables que mêmes les spécialistes ont de la peine à suivre non pas pour parier sur l’avenir de la société mais sur la soif des Apes à vouloir leur racheter leurs titres.
L’opération est résumée ainsi dans le New York Times :
The firm is likely looking to take advantage of Bed Bath & Beyond’s rising share price, with hopes of selling when it goes even higher. Retail investors helped drive the price up nearly 100 percent on Monday, before Bed Bath & Beyond announced its plan to offer stock. Shares fell nearly 50 percent in trading on Tuesday, to around $3.
[…]
“For those who are in this situation, for those who are desperate, this will be one instrument that they can use,” said Douglas Chia, the head of Soundboard Governance, a corporate governance consultancy. “Every couple years there’s a new instrument that investment bankers come up with, and it’s creative and it becomes the flavor of the month and everyone starts to use that. This could be the same thing.”
Oubliez tout le bon sens que vous avez appris concernant la valorisation d’entreprise lorsque vous avez à faire aux irréductibles Apes et suivez le modèle suivant : divisez le gâteau ou ce qu’il en reste en miettes et vendez-leur ces miettes le plus cher possible. Répétez. Chaque dollar obtenu ira directement dans la poche des banques.
On ne sait pas quand cela se terminera mais on sait comment : Wall Street sera à table à manger le sanglier servi par les Apes sur un plateau d’argent.