Marché aux cadavres
Sur les marchés, les short sellers sont plus utiles que les régulateurs qui comptent les morts une fois la partie terminée
“Short sellers are financial detectives in the markets whereas the regulators and law enforcement are the financial archaeologists.” - Jim Chanos
Obtenez un mug du NFT “Short Squeeze” en upgradant votre abonnement et en soutenant The Bear of Rathgar
Au sommet de la crise financière, le cours de l'action Volkswagen (VW) a augmenté de façon spectaculaire pour dépasser les 1,005 euros le mardi 28 octobre 2008, contre une clôture le vendredi précédent de 211 euros. VW était alors brièvement devenue l’entreprise la plus valorisée au monde.
A l’heure de l’apéro vendredi soir, l’actionnariat simplifié de VW semblait être le suivant :
Porsche détenait une position significative avec le Land de Basse-Saxe, les autres investisseurs représentaient une petite part du gâteau, complétée par ceux qui sont considérés comme les méchants vautours : les short sellers (ou vendeur à découvert pour les spécialistes franco-français).
On se tourne vers Vernimmen.net pour la définition :
La Vente à découvert consiste à emprunter un titre contre le versement d'un intérêt, le vendre puis attendre la baisse effective pour le racheter et le rendre à son prêteur en ayant donc réalisé un profit. Cela consiste donc à parier que le prix d'une Action va baisser.
Les raisons de vendre à découvert peuvent être variées, allant de la spéculation à la couverture d’un portefeuille, en passant par l’identification d’une surévaluation d’un actif.
Pour faire le parallèle avec les vautours qui évitent la propagation de maladies et fournissent un service écosystémique particulièrement important, les short sellers fournissent un service indispensable aux marchés financiers en évitant la propagation d’entreprise zombie ne créant aucune valeur.
En octobre 2008, les perspectives du marché automobile sur fond de crise financière mondiale étant pessimistes, des investisseurs avaient donc vendu à découvert des actions VW, ce qui est totalement légal.
Durant le week-end, Porsche fit alors le communiqué suivant :
“Due to the dramatic distortions on the financial markets Porsche Automobil Holding SE, Stuttgart, has decided over the weekend to disclose its holdings in shares and hedging positions related to the takeover of Volkswagen AG, Wolfsburg. At the end of last week Porsche SE held 42.6 percent of the Volkswagen ordinary shares and in addition 31.5 percent in so called cash settled options relating to Volkswagen ordinary shares to hedge against price risks, representing a total of 74.1 percent. Upon settlement of these options Porsche will receive in cash the difference between the then actual Volkswagen share price and the underlying strike price in cash. The Volkswagen shares will be bought in each case at market price.”
En résumé : Porsche détenait, via des produits structurés complexes afin de ne pas devoir publier l’intégralité de ses intérêts financiers dans VW, 74.1% du capital.
La légalité de cette action est plus questionnable. Le Journal of Financial Economics concluait ainsi son étude en 2021 sur le sujet :
We argue that this was a manipulation designed to save Porsche from insolvency and the German laws against this kind of abuse were not effectively enforced. Using hand-collected data we provide the first rigorous academic study of the Porsche-VW squeeze and show that it significantly impeded market efficiency. Preventing manipulation is important because without efficient securities markets, the EU’s major project of the Capital Markets Union cannot be successful.
En effet, pas besoin d’être un docteur en mathématique pour se rendre compte que plus de parts de gâteau avaient été distribuées que le nombre de convives, ce à cause du manque de transparence de la part de Porsche afin de manipuler le marché.
Lundi matin, la situation ressemblait donc à cela :
Se produit alors un short squeeze.
Les short sellers vendant leurs titres à découvert en pariant à la baisse, leur espérance de gain est limitée à la différence entre le prix de vente déterminé et le cours le jour du rachat du titre. Les pertes sont théoriquement infinies : à l’instant où le vendeur doit remettre le titre qu’il a vendu à terme, il doit l’acheter au cours du marché.
Si, précipitamment - ici à la suite de l’information que Porsche détenait plus de titres qu’anticipé - les vendeurs se rendent compte qu’il n’y a pas assez de titres à acheter sur le marché pour honorer leur contrat (13% sont supérieurs à 5.6%), ils se ruent alors sur le titre pour couvrir leurs positions créant une spirale infernale du cours à la hausse.
Résultat des courses : Porsche réalise un profit de 6 milliards d’euros et les vendeurs à découvert ont encaissé les pertes, bien que leur analyse ait été correcte si l’on en croit l’évolution du cours les mois qui suivirent l’évènement.
Alors que les journalistes francophones n’ont pour la plupart rien vu venir de la débâcle du Credit Suisse, Myret Zaki s’insurge contre les profits de ceux qui l’avaient vu venir en partageant un article du Financial Times sur LinkedIn :
Les hedge funds ont gagné plus de 7 milliards $ en pariant contre les titres des banques comme Credit Suisse, Sillicon Valley Bank ou First Republic. C'est le plus gros gain réalisé par les fonds spéculatifs sur le dos des banques depuis 2008. Que les Big Spec soient incentivés à couler des institutions qui ont des millions de déposants, et ce impunément, montre à quel point la régulation du shadow banking (finance non bancaire) est inepte et clairement en échec.
Il semble donc opportun ici de rappeler les éléments suivants que Myret Zaki et les autres experts des marchés financiers doivent savoir :
les vendeurs à découvert n’ont pas d’impact direct sur la santé financière d’une entreprise.
Dans le cas du Credit Suisse, ils n’ont pas blanchi d’argent pour des trafiquants de drogues, ils n’ont pas contourné de sanctions, ils n’ont pas manqué de faire de due diligence élémentaire sur certaines transactions, ils n’ont pas pris part à la gestion des risques catastrophique.
Le seul impact financier - indirect - est la difficulté pour la société de lever suffisamment de fonds nécessaires pour faire face aux problèmes de liquidités créés par elle-même. Dans le cas du Credit Suisse, le fait que son principal actionnaire affirme publiquement ne plus (pouvoir) soutenir la banque n’a pas aidé.
Le système régulé comme il est organisé n’a pas prévenu cette débâcle et toutes les débâcles précédentes. C’est au contraire les short sellers et les autres acteurs du marché qui ont alerté sur les principaux scandales des dernières décennies : Enron, Wirecard, Madoff, subprimes. Les régulateurs ont fait le bilan des années plus tard.
Dans le cas du Credit Suisse, la baisse du cours de 64% en un week-end est due à l’intervention du gouvernement qui a forcé la main à l’UBS, qui par conséquent a bénéficié d’un prix bien en dessous de celui du marché.
Il faut avoir beaucoup d’imagination pour argumenter que l’acquisition du Credit Suisse par UBS n’a pas été manipulée par le gouvernement suisse. Il n’y a par contre aucun élément laissant penser que les spéculateurs ont entrainé sa chute.
On préfère toutefois les archéologues qui vous expliquent ce qui n’a pas fonctionné plutôt que des détectives qui vous alertent sur ce qui ne fonctionne pas.