Le pommier qui sauvait la forêt
Comment les entreprises s'y prennent-elles pour sauver la planète?
“By paying Cheat Neutral, you’re funding monogamy-boosting offset projects.” - Cheat Neutral
La fête celte antique de Samhain, à partir de laquelle Halloween est issue, marquait la fin de la récolte et le début de l'hiver, une saison associée à la mort. Les gens croyaient qu'en cette nuit, la frontière entre les vivants et les morts était floue, et ils portaient des costumes et allumaient des feux de joie pour éloigner les esprits maléfiques.
Si cette tradition s’est exportée bien au-delà des terres celtes afin de remplir les caisses des multinationales avant de mettre toutes leurs forces dans la bataille de Noël, la peur ne se situe la plupart du temps plus entre la fin de la récolte et le début de l’hiver, mais dans l’équilibre entre la croissance et la préservation de la planète.
Conscients que les zombies et les citrouilles ne règleraient pas le problème, les sorciers des multinationales ont ainsi créé toute sorte de stratagèmes afin de réconcilier croissance et planète, espérant ainsi ne pas changer l’ordre établi.
Par exemple, Apple a mis les moyens en mobilisant l’actrice oscarisée Octavia Spencer et ses employés, dont son CEO Tim Cook, pour vous montrer comment elle était un exemple à suivre pour atteindre la neutralité carbone.
A l’instar de toutes les entreprises, cette “neutralité” est atteinte grâce à l’achat de crédits carbone.
Comme évoqué dans Not Zero, les compensations sont au climat ce que sont les cryptomonnaies à la finance, le paradis des arnaqueurs.
Avec comme à son habitude quelques années de retard, l’Union Européenne semble s’en rendre compte :
“Carbon neutral claims are scientifically inaccurate and mislead consumers,” Monique Goyens, the director-general of BEUC, the European consumer organisation, told the Financial Times. “The EU’s recent decision to ban carbon neutral claims will rightly clear the market of such bogus messages, and Apple Watches should be no exception.”
Il serait toutefois injuste de s’en prendre qu’à Apple, qui est le pommier qui cache la forêt du Greenwashing. Une enquête parue dans The Guardian en début d’année le confirme :
The forest carbon offsets approved by the world’s leading certifier and used by Disney, Shell, Gucci and other big corporations are largely worthless and could make global heating worse, according to a new investigation.
The research into Verra, the world’s leading carbon standard for the rapidly growing $2bn (£1.6bn) voluntary offsets market, has found that, based on analysis of a significant percentage of the projects, more than 90% of their rainforest offset credits – among the most commonly used by companies – are likely to be “phantom credits” and do not represent genuine carbon reductions.
Comment fonctionnent ces crédits carbone que vous pouvez vous aussi acheter avant de vous envoler pour les Seychelles ?
Le mécanisme est ici résumé par The Visual Capitalist :
Ce processus à pas moins de quatre intermédiaires pour réduire les émissions est résumé par Matt Levine :
Carbon credits — which involve new and complicated accounting regimes, and which involve selling a product that you don’t create (emissions) to people who don’t use it — are a particularly appealing generator of financial engineering.
Pour les projets de réduction d’émission, le nombre de crédits possible dépend du nombre d’arbres sauvés : un nombre quasi impossible à calculer (combien d’arbres seraient abattus sans mon projet) qui doit être démontré avec plus ou moins de rigueur à l’organe de certification.
Ainsi, le but du vendeur mal intentionné de crédits carbone n’est pas réellement de prévenir la déforestation, mais d’espérer la déforestation d’une forêt à côté de sa forêt afin que sa forêt bénéficie de plus de crédits, ce qui est réellement arrivé au leader du secteur, la société suisse South Pole, dont le (très) long récit en vaut la peine.
Alors qu’il n’y a pas besoin d’un consultant de McKinsey pour arriver à la conclusion que le meilleur moyen pour réduire ses émissions serait de ne pas produire un nouveau produit à tout prix, il ne semble pas que cette solution soit celle qui a été retenue.
Lundi, vous aurez droit au prochain produit de la pomme, spéciale Halloween :
Il y aura certainement quelques changements mineurs, des nouvelles couleurs, mais surtout une petite feuille verte quelque part pour vous redonner bonne conscience, et surtout cacher la forêt qui brûle.