Instruments frauduleux
Si les cryptomonnaies ne sont pas des instruments financiers, que sont-elles?
“Buying a crypto token is essentially just a huckster opening Excel and offering to sell you the cells A2:D5 for $100,000.” - Stephen Diehl
Dans les années quarante, un agriculteur américain nommé William John Howey proposa des parcelles d'orangeraie à des investisseurs, leur promettant des bénéfices basés sur le profit de la vente de ses récoltes.
La Cour Suprême des États-Unis considéra cette offre comme un instrument financier (titre ou valeur mobilière).
Nommé d'après la célèbre décision de la Cour suprême rendue en 1946, le test Howey fourni des indications sur la manière de répondre à la question : [XYZ] est-il un titre ? Dans sa décision, la Cour a déclaré que les contrats d'investissement sont des valeurs mobilières « lorsqu'il y a investissement d'argent dans une entreprise commune avec une attente raisonnable de bénéfices provenant des efforts d'autrui », et que cette définition « s'applique à tout contrat, stratagème ou transaction, qu'il présente ou non l'une ou l'autre des caractéristiques des titres typiques ».
Dans ce cas précis, les investisseurs plaçaient de l’argent dans une orangeraie en attente de profits qui dépendaient des efforts de Howey.
Les lois sur les valeurs mobilières sont nées aux États-Unis après la crise boursière de 1929 afin de protéger le public contre les vendeurs proposant des investissements dans des entreprises opaques sans donner davantage d’informations, faisant perdre des fortunes aux petits épargnants.
100 ans plus tard, les règles sont toujours en vigueur et le “Howey Test” fait office de référence pour déterminer si un produit doit être considéré comme une valeur mobilière lorsqu’il est offert au public.
C’est donc assez logiquement que la Securities and Exchange Commission (SEC) a considéré que la plupart des cryptomonnaies et autres actifs digitaux étaient des instruments financiers et que s’ils étaient offerts au public, ses émetteurs devaient alors se soumettre aux mêmes règles que les orangeraies de Howey ou les actions d’Apple, ceci afin de protéger le public.
Bien entendu, l’industrie des cryptomonnaies - dont le principal objectif est de vous faire perdre de l’argent - n’a jamais considéré que les différents tokens émis remplissaient les critères du Howey test.
Il suffit pourtant de passer quelques minutes sur WallStreetBets ou YouTube pour se rendre compte que les critères sont à priori remplis : des individus investissent de l’argent dans un token émis par une entreprise dans l’attente de profits réalisés grâce aux pouvoirs magiques du token que l’entreprise a développé (en général du marketing en vue d’attirer le prochain pigeon).
De nombreuses débâcles auraient pu être évitées si ces actifs digitaux avaient suivi les mêmes règles applicables aux autres instruments financiers. Les faillites de FTX, Celsius et les autres à venir n’auraient jamais pris une telle ampleur.
Une des entreprises qui se bat depuis des années contre la SEC afin de ne pas être considérée comme un émetteur d’instrument financier est Ripple, l’émetteur du jeton XRP.
La semaine dernière Ripple et ses supporters ont célébré une demi-victoire suite à la décision du juge qui est allé à l’encontre de l’avis de la SEC, en concluant que dans certains cas de figure XRP n’était pas une valeur mobilière.
Matt Levine résume la décision ainsi :
Yesterday the federal judge in the case, Judge Analisa Torres of the Southern District of New York, issued an important and rather strange ruling in the case. Here is her opinion. Basically she ruled that sometimes XRP is a security and sometimes it isn’t. When Ripple sold XRP to institutional investors in over-the-counter trades, with due diligence and investment agreements, that was an “investment contract” and so a securities offering. When Ripple sold XRP to retail investors in on-exchange trades, anonymously and with no disclosure, that was not an “investment contract” and so not a securities offering.
That’s so weird!
En effet, étrange. Pour faire le parallèle avec des oranges : l’agriculteur qui vend les oranges au maraicher depuis son champ est soumis à toutes les lois en vigueur, mais si ce même agriculteur les vend directement au public de manière anonyme sur un marché, aucune loi ne s’applique.
Matt Levine compare ce cas de figure avec les actions Meta :
Statistically speaking, almost nobody who has ever bought Meta Platforms Inc. stock bought it from Meta. Between its founding in 2004 and its 2012 initial public offering, Facebook (as Meta was then called) raised about $2.9 billion by selling stock to venture capitalists. That IPO raised about $16 billion, though only about $6.8 billion went to Facebook; the rest went to early investors who sold their own stock in the IPO. Facebook did another stock offering a year later, raising another $1.5 billion for the company; it has never sold stock since then. So over the last two decades, people have invested about $11.2 billion in Meta by buying its stock.
Meta en est donc aujourd’hui où elle en est grâce aux quelque 10 milliards (2.9 + 6.8 + 1.5 milliards) que les investisseurs lui ont confié pour se lancer. Depuis, Meta n’a plus jamais eu besoin de faire appel à des investisseurs pour en être où elle est aujourd’hui (c’est grâce à vous, le produit, qui permettez à Meta de générer des milliards de bénéfices de ses recettes publicitaires).
Matt Levine continue :
That is a drop in the ocean compared to the amount of Meta stock that people buy from each other on the stock exchange. People bought $9.5 billion of Meta stock yesterday. The day before, they bought about $11.2 billion of Meta stock: as much in one day as Meta sold in its whole history. Last year about $1.6 trillion of Meta stock traded; the year before it was only a little less. In the entire history of Meta, on the order of 0.1% of all the money spent to buy Meta stock went to Meta; in the last nine years, the percentage is exactly 0%.
En d’autres termes : Meta ne se soucie guère que vous achetiez leurs actions ou non. Ils n’ont plus besoin de vous.
Il continue :
It is conventional to say that if you buy a share of Meta stock, which closed yesterday at $313.41, you are “investing in Meta.” But what does that mean? It does not mean that you are giving $313 to Meta to use to buy computers or pay workers; your $313 does not go to Meta at all, but to whoever else had the share of stock before you did. It does not mean that you get a check for your share of Meta’s profits: Meta has enormous profits and has never paid a dividend. […] It does not mean that you get a say in the management of Meta: Mark Zuckerberg owns super-voting shares and can make all the decisions himself. It does mean that if someone acquires Meta in a merger, you will get your proportionate share of the merger price, but Meta is an $800 billion company so that seems unlikely.
Pourtant, vous restez actionnaire de Meta, et lorsque les bonnes nouvelles arrivent le titre monte et inversement, car même si vous ne lisez certainement pas les rapports qu’ils publient, vous avez une certaine assurance que votre action à 313 dollars ne repose pas que sur du vent et vous donnera droit à une part du gâteau construit par Mark Zuckerberg.
Nous rejoignons l’analyse de James Carlson, professeur à l’Université de New York : les lois sur les valeurs mobilières ont été introduites pour protéger les investisseurs individuels. Les investisseurs institutionnels n’en ont pas besoin - ils sont assez grands de savoir s’ils veulent investir dans Theranos, FTX ou WeWork, dont la première tentative d’IPO a justement échoué suite aux informations présentées au public.
Cette décision sera certainement contestée par la SEC, c’est toutefois pour l’instant une bonne nouvelle pour l’industrie de la cryptomonnaie, car comme le dit Carlson “The potential for bucket shop or boiler room fraud is alarming”.
Un instrument financier déguisé en instrument magique pour cacher un instrument frauduleux : tout ce que demandait l’industrie de la cryptomonnaie qui a fait des fraudes son principal fonds de commerce.
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